EXTRAIT DU CHAPITRE 3
Anthony Perkins, en voilà un qui aurait pu être un digne successeur de Cary. A l’aise partout, dans la comédie – revoyez-le avec B.B. dans « Une Ravissante Idiote » -, comme dans le drame. Hélas après « Psychose » , il n’a plus retrouvé le vrai grand rôle, trop marqué par Norman Bates. Vampirisé qu’il fut! Depuis la douche assassine… Rideau!
Quel point d’orgue cette scène ! Elle arrive après plus d’une heure de projection, la tension est à son maximum. L’oncle Hitch nous a promenés avec une histoire d’alcôve, puis de hold-up, enfin avec un mini road movie avant la lettre. Il nous échoue en compagnie de Marion Crane – Janet Leigh – dans le motel de Norman. A son premier sourire gauche, on sait qu’il est tombé raide amoureux d’elle. Nous, on l’est depuis la séquence d’ouverture grâce au prodigieux travelling avant sur la façade de l’hôtel de Phoenix (Arizona), quand, traversant – avec l’objectif voyeur de la caméra – la fenêtre d’une chambre, nous avons lorgné Marion rajuster, après l’amour, son opulent soutien-gorge blanc de ses mains graciles. Viennent ensuite des scènes de séduction discrètes entre Perkins et sa future victime sous l’oeil immobile d’inquiétants animaux empaillés, marotte de Bates junior. Epiée à l’aide d’un oeilleton avant ses fatales ablutions, Janet/Marion dévoile ses charmes à la seule pupille « texaverysée » du schizophrène. Cloué sur son fauteuil le spectateur ne peut qu’imaginer, code Hayes oblige, et c’est bien meilleur, le génie d’Alfred aidant.
Enfin après l’eau fraîche rédemptrice, le carnage, les coups de couteau aiguisés par les violons de Bernard Herrmann, le sang noir giclant sur les carreaux immaculés, le corps lardé de la jeune femme hurlante filmé sous tous les angles, sa nudité tant attendue et aperçue fugitivement, sa main crispée sur le rideau, l’eau sanglante s’évacuant du bac, la rupture saccadée et successive de tous les crochets du rideau égrenant les dernières secondes de l’agonie, le regard fixe du cadavre la joue affalée sur le carrelage, le pommeau de la douche continuant inexorablement à débiter l’ondée désormais inutile… Temps mort réclamé par le public !
Ma première vision de Psychose – Psycho – 1960 – Alfred Hitchcock – s’est aussi passée devant un poste de télé, celui de mes grands-parents paternels dont je garde la maison, un soir, en leur absence. Je suis terrorisé, fasciné. Irrémédiablement seul. Je ne pourrai m’endormir qu’avec les lumières allumées dans toute la villa. Tout au long de mon existence cinéphile, je reverrai le film plusieurs fois en salle, à la télévision et en DVD. Avec toujours le même plaisir doublé d’effroi. Non je n’exagère pas ! Comment ne pas frissonner, également, devant l’étourdissante scène de meurtre du détective privé ? L’acteur Martin Balsam immortalisé, c’est un comble, par le couteau de cuisine de madame Bates mère et la virtuosité de la caméra. Défiguré par la lame, il dégringole au ralenti l’escalier en plongée*, absorbé dans le puits du cauchemar, le regard incrédule devant sa propre mort. Coupez!