AURORE BAUDIER est l’auteure de La Bouchée dans le dernier SILLAGES d’OCEANIE « Je mange donc je suis ».

-Pourquoi avoir écrit ce texte truculent ?
A la base, je suis plutôt une habituée des récits fantastiques ou de science-fiction. Cette fois j’ai voulu m’essayer à un autre registre et je trouvais amusant de prendre le contre-pied de faire goûter une mauvaise cuisine à une professionnelle du goût. En revanche, je souhaitais apporter un zest de profondeur à la nouvelle. Qu’elle ne soit pas qu’une simple histoire de « mauvais goût ».
-Votre personnage est visiblement épicurien?
Oui et non, justement mon personnage, du moins au début, est plutôt désabusé. Elle a perdu la notion de plaisir. Dans son travail, elle se rend compte de son statut de vitrine, une coquille de frivolité très éloignée de ses aspirations.
Mais oui, ce repas, plus particulièrement cette bouchée, la rappelle aux plaisirs simples, au lâcher prise. Elle se doit de savourer le présent.
-Elle est adepte du beau, du bon et du vrai…pourtant elle bascule avec joie dans l’amour du contraire ? Au nom de l’amour ?
L’héroïne est une femme de caractère, authentique et une amoureuse du travail bien fait. Elle affectionne le détail qui fait mouche, celui qui fera passer un bon plat à un plat d’exception. Malgré ses nombreux défauts, la cuisine de Dimitri incarne justement cette authenticité qu’elle avait oubliée.
On se rend compte que sa récente expérience avec le client anglais n’est pas inédite. Sa recherche du beau, du bon et du vrai, l’a finalement conduite à la superficialité, l’indécence et à l’inélégance.
Dans ces hautes sphères, elle arbore l’image de la « femme objet », juste bonne à tenir compagnie aux riches investisseurs en dépit de ses compétences.
C’est Dimitri qui lui fait comprendre son égarement. Tous les efforts qu’il met en œuvre pour lui plaire l’attendrissent. Contrairement aux apparences, il incarne parfaitement le beau, le bon et le vrai. La pureté de ses sentiments amoureux la réconcilie avec elle-même. Il lui permet de se reconnecter aux valeurs profondes qu’elle défend.
-Ici la cuisine révèle sa personnalité ?
En quelque sorte, la (piètre) cuisine de Dimitri révèle surtout les aspirations qu’elle a perdues de vue. L’énorme quantité de travail qu’il a abattu, en étant totalement inexpérimenté, est une véritable prise de conscience pour l’héroïne. Plus qu’une bouchée, c’est une claque qu’elle a prise. Elle a fait vibrer son âme plus que son palais.
-Etes vous cuisinière vous aussi ?
Plutôt pâtissière que cuisinière. J’ai la chance d’avoir un mari qui cuisine très bien, surtout le salé. J’avoue le laisser majoritairement aux commandes des fourneaux. Mon père m’a souvent répété cette maxime « lorsqu’un pianiste est dans la salle, c’est à lui que l’on confie le piano ! ».