Joël SIMON

Joel Simon arrive en Nouvelle Calédonie dans les années soixante-dix. IL y crée une entreprise dans le domaine du traitement des eaux, et en fait son port d’attache entre ses différents voyages en voilier. En 2018, il pose définitivement son sac à terre. Une nouvelle aventure commence, qui consiste à puiser dans les souvenirs pour reprendre l’écriture. Ainsi naît Kaïn, sorti en juillet 2021.

Kaïn est son deuxième roman publié chez Au Vent des Iles, après « Indolents Compagnons de voyage », paru en 2008, lequel a obtenu le prix Albatros du meilleur livre de mer en 2010.


 

Bibliographie

Indolents compagnons de voyage
Joël Simon
Au Vent des Iles

*Un avis sur Indolents compagnons de voyage :

Ce n’est pas en vain que Joël Simon donne son livre à ouvrir à Baudelaire !

Les quatre cents pages qui nous content les destins croisés de trois solitudes dans l’immensité des mers du Sud sont un grand poème en prose, habité, hanté par l’Oiseau.

L’histoire est captivante, fascinante et l’on se « réveille » à la dernière page stimulé par le rappel du premier but du vivant : survivre et se reproduire pour transmettre son savoir, génétique ou non…   que l’on soit oiseau ou humain…Et chaque fois que l’on revient vers l’Oiseau c’est un rare bonheur. En peu de mots, l’auteur nous insère sous ses rémiges et nous devenons albatros; souvent l’Oiseau parle et c’est à se demander si l’auteur n’en est pas la réincarnation.

Le temps suspend son vol pendant la lecture de ce livre, pour laisser l’albatros maître des airs et joueur de vent. Il plane majestueux et intervient, bien malgré lui, dans la vie des humains.

Quelle curiosité de connaître la mer, la terre et les êtres qui les habitent par son œil vif et dénué d’état d’âme « humain »…

Dame Nature est à l’honneur, l’envie de voyager est transmise par l’albatros et les humains qu’il croise, mais il s’agit de voyage respectueux de cette Nature offrant des paysages superbes et des tempêtes majestueuses…

L’auteur nous entraîne dans une philosophie de vie extraordinaire de simplicité, agrémentée d’humour, de vécu, d’aventure. Et avec une lecture à la portée de tous…

Envie de les rencontrer, ces  compagnons de voyage que nous n’avons fait qu’apercevoir, hommes et femmes croisés dans ce livre…et l’Oiseau.

Qui a, un jour, seulement aperçu un albatros ne peut qu’y retrouver son émotion ; et qui a vécu, sous une aile ou une voile, le privilège de ce contact avec l’air, traverser un nuage, profiter d’une ascendante ou partir dans une chute abyssale, peut entr’apercevoir le quotidien de celui que nous décrit avec une telle acuité Joël Simon.

Ajoutez à cela une belle connaissance de l’éthologie de notre héros planant, une description prenante d’un coin de Nouvelle Zélande qui ne figure pas sur la carte des « circuits » habituels mais dont on peut témoigner, recouvrez d’une écriture magnifique – parfois indolente, elle aussi, au rythme du cœur des îles – dans une langue parfaitement maîtrisée.

Un grand livre, inoubliable.

Thérèse Collet, Jacques de Certaines, Jean-Pierre Gachet, Claude Rivard, Commission Livres de mer, STW (Sail The World)

Kaïn
Joël Simon
Au Vent des Iles

La menace d’expulsion qui plane sur les squatteurs de l’Immeuble Taureau n’est rien en comparaison de l’imminence du cyclone « Kaïn ». L’édifice vieux de plus d’un siècle a perdu de sa superbe d’antan. Les derniers occupants qui peuplent « le clapier » dans une ignorance mutuelle entretenue, paraissent bien mal lotis pour affronter la bête qui hurle et pousse la mer devant elle au point d’envahir la ville sous des mètres et des mètres d’eaux tempétueuses. L’état de la jeune Céleste qui n’arrive pas à accoucher, l’agonie de Marylin Monero en manque de dialyse, la fracture ouverte de Louis, et bien d’autres menaces encore, vont obliger la petite communauté à s’unir pour se battre contre les éléments. Il en va de leur survie à tous. Les habitants se métamorphosent, révélant un courage et une empathie insoupçonnables jusqu’alors. Ils mettent un radeau à l’eau et partent pour une navigation dantesque à travers les rues de la ville transformées en torrents. Leur but : l’Hôpital qui émerge sur une hauteur de la ville.

Kaïn fait d’eux des héros.

En nous conviant au chaos annoncé, Joël Simon nous livre un récit épique, drôle, rempli d’humanité et d’optimisme.

 


Interview

Comment est venue l’idée d’écrire Kaïn ?

Joël Simon : À l’issue de navigations à travers l’Asie du Sud-est et la Mélanesie, l’ancre de Maeva (son bateau, ndlr) s’est enfin posée dans la baie de la Moselle, dix ans après l’avoir quittée. Janvier 2018, l’esprit clair, bien dépoussiéré par un an d’alizés constants, je me posais des questions… Que faire de toute cette immobilité ? De tout ce temps ? Écrire une histoire, pardi !… Mais quelque chose d’incisif, quelque chose se plaçant dans l’actualité, une histoire chargée de symbolique…
Dans les années 90, je vivais à Touho. Mes activités professionnelles m’amenaient souvent à Nouméa, du côté de la mairie. Je ne sais pas pourquoi, immanquablement, je me retrouvais devant l’immeuble Cheval. Sa présence m’apparaissait totalement insolite. Je me plantais devant la cour intérieure, fasciné, en observation. Les murs étaient décrépis, il y avait des suintements suspects mais aussi les plantes vertes et les tissus colorés de la vraie vie. Je trouvais l’endroit très baudelairien. Beaucoup de poésie dans le sordide. On m’a dit que c’était un squat. Étonnant, là, en pleine ville. Et puis cet immeuble, avec sa façade d’ancienne star tombée en désuétude… Il y avait matière à rêver…
30 ans après, je me suis rappelé l’émotion que m’inspirait l’immeuble et ses mystères.
Mon symbole, je le tenais. Je n’avais plus qu’à le remplir d’une humanité représentative, envoyer un bon cataclysme là-dessus et en avant ! Plus qu’à tirer sur le fil. L’histoire s’est imposée et six mois plus tard le premier jet était écrit.

Peut-on dire que le cyclone est un personnage à part entière ?

JS : Oui. Au delà de son pouvoir destructeur, c’est une entité spirituelle qui influe sur le caractère des gens et modifie les comportements. Il est le représentant sardonique de la Nature en colère. Bien décidé à «corriger» les Hommes, lesquels, qu’ils le veulent ou non, appartiennent à cette mère Nature qu’ils ne respectent plus, les chenapans!…
Kaïn s’impose de telle manière qu’il fait sauter les inhibitions et conduit ses « victimes » à révéler un autre aspect d’eux-mêmes, les faisant passer parfois d’un extrême à l’autre.

On a l’impression qu’il en veut aux habitants. Pourquoi ?

JS : Ce n’est qu’une impression. Dans les faits, c’est tout le contraire. Il y a beaucoup d’ironie derrière tout ça. Kain anéantit les inhibitions. Il restaure la dignité de tous. Il met les gens face à eux-mêmes et les pousse à se dépasser.
Sous son effet, tous s’ouvrent et se mettent à communiquer. Ils découvrent l’empathie. Clémentine, qui par habitude réprime ses sentiments, se lâche. Jouet de Kaïn, son corps s’exprime à sa place.
Chacun se voit attribuer une âme héroïque. Les parents re-découvrent leurs enfants et vice versa.
Tire-a-vue s’extrait de la médiocrité où l’avait plongé la vie. Valéliano expérimente la générosité et y trouve une forme de rédemption. Les Monero échappent en apothéose au déterminisme. Kévin va avoir le courage d’affronter les tabous. Bull a l’occasion de sublimer son penchant humaniste.
Etc, etc… On pourrait continuer l’énumération. D’une manière générale, chacun se retrouve transcendé.

La Calédonie est très présente et en même temps absente. Pourquoi ce choix de ne pas citer nommément le Caillou ?

JS : Il y a plusieurs raisons mais la principale est celle-ci : je ne voulais pas entrer dans le clivage imposé, Kanaks contre Caldoches. La Calédonie qu’on nous propose n’est pas la vraie. Le pays est maintenu dans un vaste mensonge à des fins politiques. Puisque la fiction en donne la possibilité autant s’en tenir à un Territoire et une ville rêvés, correspondant mieux à l’idée que je me fais des choses. Une Calédonie onirique, figée dans le temps, avec une société non pas binaire, comme on
veut nous la présenter, mais multiple, complexe, fragmentée, avec au fond plein de bonne volonté et qui n’attend qu’un catalyseur pour faire du vivre-ensemble une réalité.

Ce nouveau roman est différent d’Indolents compagnons de voyage. Comment expliquer cet écart ?

JS : Indolents compagnons de voyage constituait le premier volet d’un projet de trilogie, sorte d’hymne au voyage. Très ambitieux. Sans doute trop.
J’ai mis sept ans pour l’écrire. Je le voulais ciselé, comme une divagation autour du poème l’Albatros.
Peu de lecteurs s’en sont rendu compte, mais il y a une musique dans ce récit. Rien de laborieux cependant, juste un immense plaisir pour accompagner mes voyages.
Devant la tiédeur de l’accueil, je n’ai pas insisté, abandonnant l’idée d’une suite. Pour me consoler, je me suis dit que le temps de ce livre n’était pas encore venu.
Par chance, mon éditeur est exceptionnel. Il défend ses auteurs en gardant leurs bébés au catalogue, disponibles sur le long terme, que le succès soit au rendez-vous ou pas. Donc, croisons les doigts, tout espoir n’est peut-être pas perdu…

Pour mon nouveau roman, je voulais un sujet dans l’air du temps, 250 pages maxi en 40 chapitres – 40 est un nombre sacré. Un sujet qui me tenait à coeur, relativement rapide à écrire et que j’espérais le plus facile à lire possible, ce qui constitue l’obstacle majeur de tout écrivain. Bref voilà dans quelles prédispositions je me suis lancé dans Kaïn.

Dire qu’il y a un écart entre les deux. Peut-être. Mais le fond est le même, je crois.
La même source d’inspiration: les Fleurs du mal.

Et comme on ne se refait pas, les deux sont marqués d’une poésie tragi-burlesque à la limite de la dérision. Non ? En tout cas, je ne le fais pas exprès.

La Critique de Kaïn par Roland ROSSERO :

L’ŒIL ÉTAIT DANS LA TROMBE…

Cette année, les éditions « Au Vent des Îles » ont publié un second roman calédonien. Après « Les enchaînés » de Franck Chanloup qui dénotait déjà dans la production fictionnelle courante, « Kaïn » de Joël Simon décoiffe aussi tant par son sujet – le passage ravageur d’un cyclone d’anthologie – que par son style ébouriffant. Avis de tempête… littéraire !

Je vais commencer par le gros et seul bémol de cet ouvrage. À savoir une couverture, au graphisme BD, qui peut faire croire à tort que ce roman n’est destiné qu’aux ados. Je dois confesser que j’étais passé plusieurs fois à côté sans aucune tentation de m’en saisir à cause de ladite couverture à la naïveté tape-à-l’œil et ce malgré la signature du doué Titouan Lamazou.

Mais, très vite franchi cet obstacle visuel, l’intérieur vaut le déplacement tant on est happé d’entrée par la furie de ce cyclone, élément déchaîné,  et par ce texte qui balaie toute la restriction ci-dessus en un clin d’œil, si l’on ose dire. Kaïn est donc le nom de cet élément naturel incontrôlable – un vrai K d’école, sa force dépassant toutes les échelles connues – et fait référence bien sûr au faux-frère biblique qui va paradoxalement révéler une fraternité multiethnique improbable dans un microcosme nouméen. Bref, l’œil révélateur de Kaïn est dans la trombe comme ne l’a pas dit Victor Hugo dans sa légende des siècles.

Kaïn et la belle

 Ce squat fraternel, huis-clos où se déroule une grande partie de l’intrigue, est l’immeuble Taureau, situé près d’un quai célèbre de la Ville que tous les Calédoniens reconnaîtrons aisément. Une translation ludique de tous les noms attachés aux rues, quartiers et lieux emblématiques de Nouméa permet à l’auteur de narrer une aventure picaresque avec une imagination débordante et une ironie mordante. Ce qui n’est pas vraiment une surprise car l’auteur, loin d’être un novice, avait déjà publié dans cette même maison d’édition. L’humour étant une politesse du désespoir – formule indépassable du génial Chris Marker –, Joël Simon n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur les travers des comportements humains et politiques de notre société dans un feu d’artifice de mots réjouissants et d’expressions jubilatoires. De fait, la tragédie est souvent drôle tout en conservant l’indispensable émotion.

Sur le fil du rasoir, il évite le manichéisme, ses personnages hauts en couleur restent attachants et crédibles malgré des scènes d’action à rebuter un Indiana Jones en pleine forme. Les chapitres courts alternent le présent catastrophique et les différents passés des protagonistes qu’un destin impitoyable a réuni dans ce misérable bâtiment. Une histoire d’amour fragile naît dans ce tourbillon de sentiments – c’est Kaïn et la belle –, ainsi qu’un accouchement échevelé et quelques morts poignantes car, c’est bien connu, Thanatos côtoie toujours Eros. Néanmoins, si l’on sort épuisé de ce maelström de mots, on est également ravi par ce roman flamboyant, persuadé que le vent mauvais peut aussi apporter des satisfactions. Et, en premier lieu, une belle lecture !

Roland Rossero – 23/09/2021