KAÏN

Auteur(e) : Joel SIMON

La menace d’expulsion qui plane sur les squatteurs de l’Immeuble Taureau n’est rien en comparaison de l’imminence du cyclone « Kaïn ».

L’édifice vieux de plus d’un siècle a perdu de sa superbe d’antan. Les derniers occupants qui peuplent « le clapier » dans une ignorance mutuelle entretenue, paraissent bien mal lotis pour affronter la bête qui hurle et pousse la mer devant elle au point d’envahir la ville sous des mètres et des mètres d’eaux tempétueuses.

L’état de la jeune Céleste qui n’arrive pas à accoucher, l’agonie de Marylin Monero en manque de dialyse, la fracture ouverte de Louis, et bien d’autres menaces encore, vont obliger la petite communauté à s’unir pour se battre contre les éléments. Il en va de leur survie à tous. Les habitants se métamorphosent, révélant un courage et une empathie insoupçonnables jusqu’alors. Ils mettent un radeau à l’eau et partent pour une navigation dantesque à travers les rues de la ville transformées en torrents.

Leur but : l’Hôpital qui émerge sur une hauteur de la ville.

En nous conviant au chaos annoncé, Joël Simon nous livre un récit épique, drôle, rempli d’humanité et d’optimisme.

*Un avis sur Kain : La critique littéraire de Roland Rossero :

L’ŒIL ÉTAIT DANS LA TROMBE

Cette année, les éditions « Au Vent des Îles » ont publié un second roman calédonien. Après « Les enchaînés » de Franck Chanloup qui dénotait déjà dans la production fictionnelle courante, « Kaïn » de Joël Simon décoiffe aussi tant par son sujet – le passage ravageur d’un cyclone d’anthologie – que par son style ébouriffant. Avis de tempête… littéraire !

Je vais commencer par le gros et seul bémol de cet ouvrage. À savoir une couverture, au graphisme BD, qui peut faire croire à tort que ce roman n’est destiné qu’aux ados. Je dois confesser que j’étais passé plusieurs fois à côté sans aucune tentation de m’en saisir à cause de ladite couverture à la naïveté tape-à-l’œil et ce malgré la signature du doué Titouan Lamazou.

Mais, très vite franchi cet obstacle visuel, l’intérieur vaut le déplacement tant on est happé d’entrée par la furie de ce cyclone, élément déchaîné,  et par ce texte qui balaie toute la restriction ci-dessus en un clin d’œil, si l’on ose dire. Kaïn est donc le nom de cet élément naturel incontrôlable – un vrai K d’école, sa force dépassant toutes les échelles connues – et fait référence bien sûr au faux-frère biblique qui va paradoxalement révéler une fraternité multiethnique improbable dans un microcosme nouméen. Bref, l’œil révélateur de Kaïn est dans la trombe comme ne l’a pas dit Victor Hugo dans sa légende des siècles.

 

 Kaïn et la belle

Ce squat fraternel, huis-clos où se déroule une grande partie de l’intrigue, est l’immeuble Taureau, situé près d’un quai célèbre de la Ville que tous les Calédoniens reconnaîtrons aisément. Une translation ludique de tous les noms attachés aux rues, quartiers et lieux emblématiques de Nouméa permet à l’auteur de narrer une aventure picaresque avec une imagination débordante et une ironie mordante. Ce qui n’est pas vraiment une surprise car l’auteur, loin d’être un novice, avait déjà publié dans cette même maison d’édition. L’humour étant une politesse du désespoir – formule indépassable du génial Chris Marker –, Joël Simon n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur les travers des comportements humains et politiques de notre société dans un feu d’artifice de mots réjouissants et d’expressions jubilatoires. De fait, la tragédie est souvent drôle tout en conservant l’indispensable émotion.

Sur le fil du rasoir, il évite le manichéisme, ses personnages hauts en couleur restent attachants et crédibles malgré des scènes d’action à rebuter un Indiana Jones en pleine forme. Les chapitres courts alternent le présent catastrophique et les différents passés des protagonistes qu’un destin impitoyable a réuni dans ce misérable bâtiment. Une histoire d’amour fragile naît dans ce tourbillon de sentiments – c’est Kaïn et la belle –, ainsi qu’un accouchement échevelé et quelques morts poignantes car, c’est bien connu, Thanatos côtoie toujours Eros. Néanmoins, si l’on sort épuisé de ce maelström de mots, on est également ravi par ce roman flamboyant, persuadé que le vent mauvais peut aussi apporter des satisfactions. Et, en premier lieu, une belle lecture !

Roland Rossero – 23/09/2021