« CHAN DANG »

PRESENTATION DE CHAN DANG EN FRANÇAIS A HANOI

(télécharger ici la version en vietnamien)

Chers Amis et compatriotes

C’est avec beaucoup d’émotion que je me retrouve aujourd’hui devant vous, cinquante-cinq ans après le départ du premier rapatriement des familles d’engagés tonkinois en NC.
Selon les documents officiels de l’île, il était stipulé à cette époque que 551 premiers rapatriés embarqués à bord de l’Eastern Queen, avaient quitté le port de Nouméa le 30 décembre 1960 pour arriver à Hai Phong le 12 janvier 1961.
En fait, il n’y eut probablement que 550 rapatriés puisque je ne me trouvais pas à bord… A ce sujet, une légende circule en N-C qui veut que certains descendants de Chân Dang auraient « sauté » par-dessus bord pour ne pas partir. Ce qui à ma connaissance n’est pas tout à fait exact. En ce qui me concerne, c’est pour raisons strictement personnelles je ne me suis pas présenté à l’heure de l’embarquement et c’est tout. Devant vous, j’éprouve en cet instant le besoin du parler vrai. Cela n’a pas toujours été facile.

Ainsi lorsqu’un soir de fin février 1961, alors que j’accompagnais quelques-uns de mes anciens camarades de classe pour une dernière promenade nocturne dans Nouméa, juste avant leur départ par le troisième convoi à bord de l’inoubliable Eastern Queen. Dois-je vous avouer que certains d’entre eux tout en m’accompagnant, se permettaient ce soir-là de me réprimander copieusement en me traitant de tous les noms du genre de « traitre », « vendu » et autres joyeusetés pour avoir déserté le bateau ?
Mais lorsque parvenus devant l’une des vitrines du grand magasin de la Maison Barrau de cette époque, face à la place des Cocotiers, mon attention fut attirée par un roman d’aventure au titre évocateur : « Chasseur Blanc, cœur noir ». L’illustration de couverture présentait une chasse à l’éléphant en Afrique.
Découvrant cela, je ressentais brusquement un choc violent. Puis tout en observant mes copains qui allaient partir en compagnie de leurs parents, dès le lendemain, dans le cadre des rapatriements des ex-engagés tonkinois et leurs familles, je me disais avec une intense émotion : « En voyant ce livre, je pense qu’il faudrait bien que quelqu’un de chez nous se décide, un jour ou l’autre, à écrire l’épopée des Vietnamiens en Nouvelle-Calédonie. Il est inconcevable de laisser disparaître cette période dure, pénible, difficile, vécue par tous les nôtres, sans laisser la moindre trace écrite ».
Je ne sais trop pourquoi, mais dès cet instant trottait dans ma tête un titre de livre qui ne sera jamais utilisé, mais qui envahissait mon esprit avec une force inouïe pour, finalement, mais bien plus tard, m’obliger à me mettre à l’écriture. Ce titre trop provocateur était : « Homme blanc, cœur noir… »
En cette soirée particulière de ce mois de février 1961, je regrettais profondément de ne pouvoir écrire moi-même une telle page d’histoire. Je venais d’avoir tout juste vingt et un ans.
Les années passèrent. En 1974, m’étant associé avec des amis calédoniens dans une affaire commerciale, je profitais de l’opportunité qui m’était donnée, au cours d’un séjour à Paris, pour m’inscrire à une école par correspondance : « l’Ecole Française de Rédaction ».
Au fur et à mesure, lors des retours de correction de mes devoirs, je me rendais compte à travers les commentaires de mon professeur que la « tâche » était tout compte fait abordable à mon niveau. Puis l’étude des textes d’auteurs connus, anciens et modernes, m’avait ouvert des horizons nouveaux, totalement ignorés de moi jusque-là.
Pourtant ce fut seulement à l’âge de trente cinq ans que je me lançais enfin dans la rédaction de l’ouvrage. Le manuscrit fut achevé en 1976. Curieusement, je me sentais dès lors « libéré », puisque désormais un témoignage écrit existait.
La publication du livre en 1980, c’est-à-dire quatre ans plus tard, par la Société d’Etudes Historiques de N-C me faisait craindre cette fois à de vives réactions de la part de la population calédonienne d’origine européenne. Car je savais qu’il s’agissait-là d’un sujet extrêmement brûlant et sensible, pour ne pas dire tabou en N-C.
Heureusement le contraire se produisit et l’ouvrage reçut un accueil chaleureux de la part des nombreux lecteurs qui, tout au long des pages, découvrirent avec stupéfaction la Calédonie du passé. Celle dont les anciens n’osaient pas trop en parler.
En tout cas, un véritable tabou venait de tomber et une brèche s’était entrouverte dans « le mur du silence », jusque-là inviolable, au « pays du non-dit ».
Le Prix de l’Asie décerné à Chân Dang l’année suivante à Paris, en décembre 1981 plus exactement, par l’ADELF (Association de Ecrivains de Langue Française) avait été la grande surprise et constituait, en fin de compte, une bonne récompense pour tant d’efforts consentis et les risques encourus.
Grâce à ce Prix de l’Asie, Chân Dang avait également reçu un écho favorable au Viêt-nam. Et la presse vietnamienne lui avait consacré à l’époque bon nombre d’articles.
Une maison d’édition à Paris, Sud-Est Asie, dirigée par un compatriote Vietnamien, m’avait même proposée un contrat en bonne et dû forme pour la publication et la traduction de l’ouvrage en plusieurs langues, notamment en vietnamien. Mais j’ai dû refuser l’offre moi-même à mon grand regret. Sans doute de peur de porter au grand jour notre histoire trop douloureuse.
Un réalisateur calédonien m’avait ensuite contacté pour le tournage d’un film sur Chân Dang. Mais n’ayant pu trouver de producteur pour un sujet aussi particulier, les coûts étant très élevés, celui-ci a dû laisser son projet dans un tiroir.
En 2007, la chaîne de télévision vietnamienne HTV7 de Hô Chi Minh city se proposa d’adapter cette fois Chân Dang, en portant à l’écran une série télévisée de trente épisodes de 45 minutes chacun. Mais face à l’ampleur d’un tel projet et de peur que les scènes inévitables sur les conditions de vie et des mauvais traitements envers les Chân Dang au temps colonial ne se retournent contre nous, contre la Calédonie et ses habitants, j’ai encore une fois hélas refusé avec beaucoup de regrets.
Enfin « Chân Dang » & « Fils de Chân Dang » ont fait l’objet d’une étude universitaire en anglais, qui a été publiée en 2008 par les Editions Ropodi, une prestigieuse maison d’édition académique américaine, dans le cadre d’un ouvrage collectif intitulé : Exile Cultures, Misplaced Identities (Cultures exiles, Identités déplacées).
Ainsi grâce à Chân Dang, notre histoire est désormais connue jusqu’en Amérique.

A bien réfléchir, sans ce livre Chân Dang personne au monde n’aurait jamais pu connaître l’épopée vécue difficilement par nos parents. Il n’y aurait jamais eu non plus d’inauguration du monument Chân Dang à Nouméa en 2013.
Dois-je vous avouer aussi que j’ai écrit ce livre avec la peur au ventre, en pensant aux réactions violentes qu’auraient pu opter les Calédoniens à la sortie de l’ouvrage. Or le contraire s’était produit. La N-C toute entière m’a soutenue et encouragé à poursuivre mon travail d’écriture.
Pourtant sur le plan personnel, je considère que j’ai simplement accompli un devoir de mémoire vis-à-vis de notre communauté en N-C. De sorte que les souffrances et sacrifices de nos parents ne soient pas oubliés et, pire encore, qu’ils soient jetés pour toujours dans les oubliettes de l’Histoire.
Voilà en réalité ma plus grande satisfaction. Tout en restant moi-même…
Et c’est sans doute grâce à cette modération dans les descriptions de ces événements du passé que Chân Dang est si bien accueilli et apprécié en Nouvelle-Calédonie, comme ailleurs de part le monde, depuis 1981.
Je me considère surtout comme doublement récompensé, lorsque qu’un jour un lecteur calédonien me confia ceci : « Avant de lire votre livre, j’avais l’impression que les Vietnamiens, avec leur réussite sur le plan économique, étaient venus pour profiter, pour gagner de l’argent sur notre Caillou. Bref, pour « manger le pain » des Calédoniens. Or, après lecture, je suis obligé de les regarder désormais avec un œil différent, compte tenu de ce que leurs anciens ont dû faire et ont fait pour le développement de la Calédonie ».

Pourtant à aucun moment je ne pensais faire œuvre d’historien. Je voulais simplement laisser un témoignage écrit sur cette épopée vécue par nos parents, par les gens de ma communauté, hommes et femmes durant de si longues années.
Or peu à peu, ce récit s’est imposé comme une sorte de référence et comme une page sinon importante mais du moins indispensable sur la période dite coloniale, en Nouvelle-Calédonie.
Je réalise en tout cas, sans le savoir et par conséquent sans le vouloir, que j’ai contribué à la réalisation de ce que l’on appelle de nos jours : un « devoir de mémoire »…
Sans doute qu’en faisant cela, l’épopée des Chân Dang s’inscrit désormais comme une empreinte – parmi tant d’autres, bien entendu – dans petit un coin sur la grande page d’histoire de notre humanité.
Rédigé sous forme de roman, suite à mes études littéraires, l’ouvrage a l’avantage d’être présenté comme un véritable témoignage voire comme un « grand film » de cinéma. Ce qui contrairement à un livre historique donne aussi la possibilité de mettre l’accent plutôt sur les sentiments et les souffrances de nos parents en ce temps dit colonial.
De plus, à une époque où dans ce « Pays du non-dit », il était extrêmement dangereux d’écrire ou de trop détailler sur son passé colonial, je n’ai donc pas voulu évoquer les grèves dures survenues dans les mines de Voh, ou celles ayant entraîné la mort de plusieurs de nos compatriotes à La Foa et à Thio.
Je tiens toutefois à préciser que j’ai toujours scrupuleusement respecté les événements et les dates historiques, afin de donner une crédibilité maximum à l’épopée des Chân Dang.
Dès lors, compte tenu des interrogations voire sur les réactions (parfois violentes…) de nos parents, ainsi qu’aux exactions et brimades dont ils étaient victimes, tout comme les grèves et les prétendus infiltrations communistes en ce temps-là, et que rien n’est encore écrit d’une façon détaillée sur ces sujets précis, qui appartiennent à notre histoire, je pense qu’il reste encore de la place pour un autre ouvrage.
Un ouvrage historique cette fois. D’autant plus que de nos jours, contrairement aux années 80 lors de la sortie de Chân Dang, le sujet n’est plus tabou ni dangereux.
J’invite donc les historiens d’aujourd’hui ou de demain à prendre leurs plumes et de se mettre dès que possible à l’ouvrage.
Pour ma part, comme je vous ai confié plus haut, j’ai simplement contribué à la réalisation de ce que l’on appelle de nos jours un « devoir de mémoire ».
Je vous remercie de m’avoir écouté

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