,

Un vieux slammeur

Un vieux slammeur, c’la meurt vieux…
C’est l’seul avantage du grand âge,
Voir l’crépuscule de son opuscule,
Parc’que tu parles, quand t’as cent ans,
Ça s’entend quand tu parles,
Des problèmes d’articulation,
Remarque, dans cette société, en général,
On souffre tous de nos petites raideurs…
S’économiser, c’est capital,
Mais j’en vois plus l’intérêt, la grandeur…
Désargenté, le signe des temps,
Les tempes argentées… ma peau s’détend,
Ma peau s’assèche, devient à rides :
L’heureux pli sur soi-même ?
Se sentir plus vieux, même quand il fait beau,
Voir le temps gris venir, s’assombrir l’avenir…

Pourtant, j’ai toujours le même air,
Enfin, me le disent celles qui, un jour, m’aimèrent.
Moi, j’me sens moins jeune sans celle qui m’aimait :
Mon amie, ma muse, ma mie…
Ma mie régalait mes papilles,
Voyez dans quel état c’la m’a mis :
Mon amour devait être trop épais…
Enfin, tant que vous m’aimez…
C’est qu’elles font de l’effet mes rides…
À une vie pépère veiller,
Mais continuer à m’émerveiller…

Comme autrefois le Petit Prince, sans rire,
Pas de Saint-Ex, d’la syntaxe,
J’pouvais faire tenir l’monde entier dans un vers.
Aujourd’hui, le grand-père d’la grammaire,
J’dois bien l’faire tenir dans un verre, mon dentier…
Et puis, aujourd’hui celle qui partage ma couche, change ma vie,
D’un continent à l’autre…
Demain, celle qui partagera ma vie… devra changer ma couche… D’incontinent, la pauvre…

Pourtant, vieillir, c’est simple : c’est mettre
Au passé les phrases qu’on disait au futur.
La vieillesse n’est qu’un passe-temps, la jeunesse passe-t’en…
On vieillit tous à la même vitesse, y’a rien qui presse,
J’ai commencé plus tard que vous, les envieux,
Un peu plus tôt que vous, futurs vieux…
Et si la valeur n’attend pas le nombre des années,
N’attendez pas des années pour les mettre en valeur,
Prenez votre envol de bonheur, on n’sait jamais,
Plus tard s’ra p’t’être trop tard, ou bien jamais,
Mais j’veux pas jouer les oiseaux de malheur :
Un grand-père OK, mais un grand-père vert,
Alors pour rester dans les annales de la tradition orale,
Je pratique ce vieil art : parler debout, brûler la chandelle,
Mais pas un cierge, triste cire,
Car même si mon corps peut encore s’appuyer
Sur un solide bâton, sur ma canne,
Plus question, à mon âge, qu’à la Vierge je m’adonne…
Les bras en croix, je crois que je ne crois plus en rien :
Vous m’croyez pas ?… Ma foi, les bras m’en tombent…
Le reste aussi, oh ! si… ma fesse est lasse,
J’m’affaisse hélas, m’efface à l’aise, la classe des vieux…
Et laisse la place à la jeune classe.
Désarticulé, vautré, rassis, dans un fauteuil croulant,
J’me suis mis à la porte… du Père-Lachaise,
Tout près de l’entrée, pour ma sortie,
Je ferme les yeux, je repère les lieux
Pour juste après, quand je ne s’rai plus vieux,
Quand j’s’rai aux cieux avec mes aïeux.
Aujourd’hui l’orant, des deux mains,
Dès demain, le gisant, et crois-moi :
Ça va pas mieux en le disant.
S’il est content et que plaise à Dieu,
P’têt’ qu’j’aurai l’temps d’faire mes adieux,
Mais j’crois pas, enfin, j’crois plus, j’vous l’ai dit…

Un vieux slammeur, c’la meurt vieux…

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire